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Day of the Bees

Q: Comment vous est venue l'idée de Jour des Abeilles ?

A: Un jour j'ai déjeuné avec une Américaine expatriée dans un petit village isolé de Provence. A la fin du repas, j'ai demandé à mon hôtesse si elle connaissait la muse d'un artiste célèbre qui vivait dans le village depuis la Seconde Guerre. On disait que cette femme avait été abandonnée là par l'artiste. La femme expatriée m'a assuré que la muse était bien vivante, et de surcroît, qu'elle habitait à côté. « Mais donc », lui ai-je dit, « vous devez être amies, toutes les deux. » La femme répondit, « Oh, non, elle ne me parle jamais, elle ne parle jamais à la moindre femme. Elle ne parle qu'aux hommes - trois hommes : l'épicier, le pharmacien et le facteur. Elle vit juste là, mais son histoire est un mystère total. » L'histoire m'est restée, et je me suis souvent demandé ce qui s'était passé entre l'artiste et sa muse. Pourquoi diantre un peintre célèbre abandonnerait-il une jeune beauté ? Pourquoi était-elle devenue une recluse au cours des ans ? Et s'il ne l'avait pas abandonnée, si c'était le contraire ? Je suis devenu fasciné par cette histoire, et sa réalité ; non pas la réalité historique de ces deux personnes, mais par la conséquence de leur passion. Quels secrets fatals étaient tapis derrière l'affaire ? Quels événements mythiques ont pu faire avorter un tel amour ?

Au cours de cet été en Provence, j'ai été également fasciné par l'histoire d'une autre femme. Orpheline russe, elle était arrivée en France au début du siècle ; ironie du sort, son identité se résumait au pendentif en forme de crucifix suspendu à une chaîne qu'elle portait autour du cou (on plaçait parfois des crucifix autour des cous des orphelins que l'on faisait sortir secrètement de Russie, afin de les protéger de l'anti-sémitisme virulent.). Jeune femme, elle fut active dans la résistance française, seule femme de sa cellule. La cellule a été trahie, les hommes furent exécutés d'une balle dans la tête, et la femme crucifiée, mains clouées à la porte de l'église du village. Dans mon esprit cette histoire fusionna avec celle de la muse abandonnée, et les deux ensemble m'ont fourni la carte émotionnelle de ce qui est devenu, après dix ans d'écriture, Jour des Abeilles .

Q: : Jour des Abeilles marque une nette rupture avec vos romans précédents. Qu'est-ce qui vous a poussé à changer de la sorte ?

A: : Ma langue romanesque est liée au paysage, à l'atmosphère, à l'architecture. Dans Rabbit Boss, le paysage était intensément physique, l'histoire centenaire d'une tribu indienne de Californie qui se déroulait dans les majestueuses montagnes de la Sierra Nevada. Il m'a fallu utiliser la langue afin de construire littéralement ces montagnes, pour planter le décor. L'action de Kilomètre Zéro se déroule à Key West, une île. Les îles sont inconstantes, changeantes, sujettes aux vents, aux marées, aux températures extrêmes. La langue de Kilomètre Zéro se devait de saisir cette atmosphère ; elle devait être éphémère, il fallait créer un lieu surchauffé où pourraient exploser les émotions humaines. Jour des Abeilles , en revanche, plonge ses racines dans les paysages de Provence et de Majorque, mais sa véritable architecture est le coeur humain, ses désirs, ses fragilités, ses défauts, sa noblesse. Ainsi, la langue a constitué un changement pour moi, car je voulais une ligne directe au coeur - une flèche de simplicité émotionnelle avec une pointe de nuance intense.

Q: On peut facilement faire le rapprochement entre votre artiste espagnol fictionnel, Francisco Zermano, et Pablo Picasso, qui lui aussi était connu pour ses multiples muses. Est-ce voulu ?

A: Zermano s'inscrit dans une lignée de peintres espagnols qui va de Velázquez à Goya à Picasso ; il est vent, feu et terre ; herculéen, protéiforme, vulnérable, il s'exprime dans la tradition des langues passionnées espagnoles poétiques - qui passe de la Gongorra classique aux chantres du banal et du sublime, Pablo Neruda et Federico Garcia Lorca.

Q: : Pourquoi, selon vous, sommes-nous toujours si fascinés par l'idée de la muse ? Comment définiriez-vous la muse ?

A: L'idée de la muse fascine certaines personnes, et en repousse d'autres. C'est une idée souvent débattue, déboulonnée rejetée, regrettée, chantée. La perception de la muse dans l'art, l'histoire et la vie a dépassé le cadre d'une interprétation rigide ou une traduction confortable. Parlons peu, parlons vrai : qu'est-ce qui nous pousse à créer ? La muse est-elle une personne ou un idéal ? La muse est-elle une esthétique prescrite, ou une énergie anarchique relâchée qui s'atomise pour prendre la forme sacrée de ce que l'on nomme oeuvre d'art ? Tout est question de perception.

Q: Les abeilles (et dans ce cas, un apiculteur en particulier) tiennent un rôle primordial dans ce livre. Qu'est-ce qui vous a attiré dans l'idée des abeilles comme présence récurrente dans le roman ? Est-ce lié à l'idée d'une société régie par les femmes ?

A: Pour les raisons évidentes, les abeilles sont ce qu'elles sont et ce qu'elles ne sont pas. Il faut lire le texte de très près, surtout lorsque Louise, sur le point de subir un viol collectif, est sauvée par un cape miraculeuse faite d'abeilles qui recouvre son corps nu. Les abeilles deviennent une métaphore aux facettes multiples, elles sont une force universelle pollinisatrice provenant de la ruche, elles représentent également un point tournant crucial dans le roman : la France sous l'occupation allemande. Louise, dans ce cas précis, représente la France, femme trahie par ses frères, son corps occupé physiquement par l'ennemi. La calamité, c'est que son enfant, le rejeton de ce Jour des Abeilles, est le fruit de son amant et de son persécuteur. Elle symbolise l'histoire de la France à un moment précis.

Q: : Pourquoi avoir choisi de raconter une grande partie de cette histoire à travers des lettres ?

A: Lorsque j'ai eu cinquante ans, ma mère m'a donné les lettres d'amour que lui avait adressées mon père avant que son navire ne soit torpillé pendant la Seconde Guerre. Ma première pensée, c'était qu'après cinquante ans, ma mère pouvait enfin me confier ces lettres. Ensuite, je me suis rendu compte que ce n'était pas le cas. Cela lui a pris cinquante ans pour être émotionnellement capable de se séparer des lettres. Il s'agissait d'elle, pas de moi. Les lettres de Louise sont également « découvertes » cinquante ans après avoir été écrites, leur contenu révèle les actes les plus intimes, les lettres éclairent à la lueur d'une bougie historique l'angoisse que provoquent les choix que l'on fait lorsque, jeune, on est sous une contrainte incessante. Louise savait que si Zermano recevait de son vivant les lettres qu'elle lui adressait, les émotions qui leur avaient permis à tous deux de survivre seraient libérées. Les lettres ne sont pas pour autant une manière de raconter l'histoire ; leur existence prouve qu'elles constituent l'histoire.

Q: En lisant cette correspondance intime de Louise et de Francisco, à la charge érotique très forte, on ne peut s'empêcher de se sentir légèrement voyeur. Etait-ce une visée de votre part ?

A: Toute fiction est une sorte de voyeurisme : le lecteur regarde l'auteur qui lui-même regarde. Mais en utilisant une correspondance, j'ai habilement transformé le lecteur en voyeur, quelqu'un qui viole l'intimité, découvre des secrets, puisque le livre découle des thèmes de l'intimité et du secret - respecté et trahi. Et, comme nous savons, la présence du secret annonce la violence, et l'érotisme ; ainsi, dans le roman, le château du Marquis de Sade est situé non loin du village de Louise.

Q: : Le monde littéraire s'est beaucoup demandé ces derniers temps si les lettres personnelles de personnages publics devaient rester privées, ou s'il fallait en préparer des éditions publiques. Qu'en pensez-vous - ou bien, votre réponse est-elle déjà illustrée par les actes de votre narrateur ?

A: C'est très simple - toute personne en possession de lettres privées, qui les garde et ne les détruit pas, les envoie implicitement dans le futur, où elles résideront pour toujours dans le vaste océan de l'information publique.

Q: : Vous nous avez donné une histoire d'amour dans un décor de violence extrême et de brutalité. Quelle est, selon vous, le lien entre l'amour et la violence, entre l'art et la guerre ?

A: Aucun acte n'est aussi violent pour l'être que d'en aimer un autre, commençons là. Alors que certains sont courageux, et font courir à leur coeur un risque de démolition afin de se dépasser eux-mêmes, d'autres, tout aussi courageux mais peut-être plus ennuyeux, restent enfermés, préférant se protéger contre une telle calamité.

Quant au lien qui existe entre l'art et la guerre, on dit que chaque sport est né de la guerre. Si c'est vrai, alors on peut dire que la guerre suit l'art, tout comme la destruction suit la création. Comment la création la plus sophistiquée - l'être humain - peut-elle devenir la plus grande force destructrice ? Zermano prend ce dilemme par les cornes en acceptant le côté cru de ses instincts, voulant les vaincre dans un acte de violent espoir, une affirmation créative, car il agit dans la foi qu'un regard futur mesurera la portée de sa signification.

Q: Comment vous est venue l'idée de donner à Ramón Llull, philosophe mystique du treizième siècle, une influence importante dans le roman ?

A: C'est intéressant, Ramón Llull connaît une renaissance en Europe, où on le considère comme un être situé entre Mick Jagger et Moïse, en tant que musicien philosophe radical. Ce qui m'a attiré, c'est son histoire. Jeune homme, c'était un séducteur hors paire, un Don Juan qui consacrait sa vie à la passion, inspiré par la beauté physique des femmes. Lorsque la femme qu'il a fini par aimer a été tragiquement enlaidie, Llull a eu un moment de vérité. Abandonnant son amante, il s'est disgracié. Suite à cela, il a renoncé aux biens matériels et aux plaisirs de la chair, et a recherché dans la ferveur messianique consolation et pardon. Il a fini par se faire lapider en Afrique du Nord alors qu'il prêchait aux Arabes que Juifs, Chrétiens et Musulmans étaient tous d'une seule religion universelle. Pour comprendre l'âme de Zermano, il faut comprendre comment son tourment est le reflet de celui de Llull. Quand Zermano perd Louise, il commence à peindre la guerre et la dévastation ; il cherche dans un monde de ténèbres un reflet de l'esprit brillant de Louise, qui éclairera le chemin qui le mènera à la rédemption. La rédemption de Zermano ne sera possible que lorsqu'il découvre les sacrifices que Louise a faits lors de son voyag

Q: : Dans les tableaux de Zermano, surtout l'« Archange Gabriel enflamme le ciel », son « Guernica » personnel, vous semblez explorer l'idée de l'influence qu'ont sur l'art, l'histoire, la politique, et surtout la guerre. A quel point cela a-t-il été vrai pour votre propre oeuvre ?

A: Par rapport à mon histoire personnelle (le décès de mon père dans la guerre avant ma naissance, avec toutes les conséquences qui se sont ensuivies), il est clair que les effets de la guerre sur les êtres ont une influence sur mon écriture. Mais passons maintenant du sombre au lumineux. A Majorque, même aujourd'hui, les hommes ne se saluent pas en disant « Bonjour ». Ils disent « Comment se portent les femmes ? » Comme quoi, si les femmes dans votre vie ne se portent pas bien, alors le monde ne se porte pas bien